Chapitre 10

 

AU CHÂTEAU D’AERTHE

 

 

La journée avait été douce pour cette période de l’année, en dépit d’une bruine humide et grise qui était tombée sans discontinuer. Les nuages avaient disparu juste avant le crépuscule, chassés par un vent du nord qui soufflait depuis le Grand Glacier comme les doigts froids et morts du Roi-Sorcier lui-même. Cette éclaircie avait offert aux habitants de Palischuk le spectacle d’un coucher de soleil magnifique, mais au moment où les étoiles s’étaient mises à scintiller au-dessus d’eux, la température avait chuté si fortement que la plupart étaient rentrés se réchauffer à la chaleur d’un foyer de tourbe.

Mais ce n’était le cas ni de Wingham ni d’Arrayan. Côte à côte sur le mur nord de la ville, ils regardaient, émerveillés. Devant eux, sur la terre assombrie, les flaques et les ruisseaux se paraient de reflets argentés sous l’éclat de la lune, semblables aux veines d’une gigantesque créature endormie, gelée, comme la terre au-dessous d’elle.

— Tu crois qu’il y aura un dégel avant les premières neiges ? demanda Arrayan à son oncle, très âgé.

— Il m’est arrivé de voir le froid arriver bien plus tôt que maintenant, répondit Wingham. Une année, il n’y a pas même eu de dégel !

— En 1337, récita Arrayan, qui avait entendu à de multiples reprises le vieil homme lui raconter ce froid de deux ans. L’année de la Vierge vagabonde.

Le demi-orque sourit devant le ton agacé de sa nièce et l’expression de son regard.

— On a dit qu’un grand dragon blanc en était à l’origine, la taquina Wingham ; il faisait référence à la première des innombrables légendes populaires qui s’étaient propagées cet été-là en raison du froid inhabituel.

Arrayan fit les yeux ronds ; Wingham, qui riait de bon cœur, passa son bras autour de son épaule.

— Cet hiver sera peut-être l’un de ceux que je relaterai pendant des décennies encore, finit par riposter la jeune femme, avec une appréhension dans la voix, qui suffit à éteindre le sourire sur le visage ridé et buriné de Wingham.

Il la serra plus fort contre lui et elle ramena sa capuche fourrée plus près de ses joues frigorifiées.

— Cette année a déjà été riche en événements, répondit Wingham. Dont l’un avec une fin heureuse… (Il s’interrompit en percevant son regard craintif.) Un milieu heureux, corrigea-t-il.

Car, en effet, l’aventure que tous avaient crue joyeusement conclue par la défaite de la dracoliche leur était revenue comme un boomerang avec l’arrivée récente d’Artémis Entreri et de Jarlaxle. Les deux compagnons étaient apparus à Palischuk sur des coursiers diaboliques, d’un noir de jais, dont les sabots lançaient des flammes sur la toundra gelée.

Naturellement, ils avaient été reçus chaleureusement, en héros. Ils avaient mérité cet accueil pour les actes accomplis auprès d’Arrayan et d’Olgerkhan et s’étaient vu accorder pension et hébergement gratuits pour le restant de leurs jours. Lors de leur venue, plusieurs habitants s’étaient d’ailleurs âprement disputé l’honneur de les loger pour la durée de leur séjour.

Comme les choses avaient changé vite depuis cette première rencontre !

Car les deux compagnons ne désiraient pas rester. Ils ne faisaient que passer, ils se rendaient au château conquis, au château D’aerthe. Jarlaxle en avait prononcé le nom. Leur château, le siège de leur pouvoir, centre du royaume qu’ils envisageaient de diriger.

Le royaume qu’ils envisageaient de diriger.

Un royaume qui, par définition, entourerait ou engloberait Palischuk.

Aucune réponse n’avait été apportée à la multitude de questions adressées au duo surprenant par les chefs de Palischuk. Le drow s’était contenté d’acquiescer et d’ajouter simplement :

— Nous éprouvons une admiration et un respect profonds pour votre cité, et nous nous engageons dans cette aventure merveilleuse en vous considérant comme de très grands amis.

Puis ils s’en étaient allés sur leurs impressionnants coursiers, dans un bruit de tonnerre, par la porte nord de Palischuk, et alors que certains dirigeants avaient insisté pour qu’ils soient retenus afin d’être interrogés, personne n’eut le courage de les y contraindre.

Mais ils étaient revenus, et les éclaireurs de la cité avaient rapporté la présence de vagues silhouettes à proximité des murs redoutables de la forteresse ; quant aux gargouilles, elles prenaient leur envol pour venir se poser le long des parapets et des tours de la construction magique.

Arrayan laissa son regard parcourir le mur, où était en poste, prêt et nerveux, un effectif doublé de gardes.

— Tu crois qu’elles viendront ? demanda-t-elle.

— Qui ?

— Les gargouilles. On m’a raconté les combats de Palischuk, les batailles auxquelles j’ai participé dans l’enceinte du château. Crois-tu que cette nuit, ou la suivante, nous verra de nouveau lutter ?

Wingham regarda vers le nord et haussa les épaules, avant de secouer la tête.

— Les éclaireurs ont rapporté avoir vu des gargouilles aux heures les plus noires de la nuit, répondit-il. Je peux imaginer la peur qu’ils ont ressentie dans cet endroit terrible.

Arrayan croisa son regard au moment où il se tournait vers elle.

— Même si cela est vrai et que Jarlaxle et Artémis Entreri ont ramené ce château à la vie, je ne redoute pas d’attaque de leur part, poursuivit Wingham. Pourquoi se seraient-ils donné la peine de s’arrêter à Palischuk et de nous assurer de leur amitié s’ils projetaient de nous assaillir ?

— Pour nous faire baisser la garde ?

D’un signe de tête, Wingham dirigea son attention vers l’effectif doublé de sentinelles le long du mur.

— Je suppose que nous n’aurions pas posté de soldats s’ils s’étaient contentés de contourner la ville pour animer la forteresse. Ils auraient ainsi pu lancer leur offensive tandis que nous serions restés dans l’illusion d’avoir gagné le combat.

Les yeux rivés au nord, Arrayan mit un instant à digérer ces informations. Elle sourit lorsqu’elle croisa de nouveau le regard de Wingham.

— Tu n’es pas curieux, alors ?

— Bien plus que toi, répondit le vieil homme rusé avec un air malicieux. Passe prendre Olgerkhan, si tu veux bien. Sa compagnie énergique sera précieuse lorsque nous nous aventurerons sur le terrain de nos anciens alliés.

— Anciens ?

— Et actuels, nous devons le croire.

— Et espérer.

Wingham sourit.

— Le château D’aerthe, murmura-t-il tandis que sa nièce se dirigeait vers l’échelle, avant d’ajouter, d’une voix plus basse encore : Cela ne peut rien présager de bon.

 

* * *

 

Deux paires d’yeux regardaient dans la direction de Wingham et d’Arrayan, à distance, tout en passant outre à leur présence. Sur le mur sud du château magique au nord de Palischuk, Jarlaxle et Entreri n’étaient pas blottis dans de lourdes capes de laine ; non, bien sûr, rien d’aussi trivial pour le drow qui avait placé sur la pierre les séparant un petit globe de couleur rouge en prononçant un mot magique. Le roc rougeoya, devint très brillant l’espace d’un instant, avant de perdre de son intensité et de commencer à émettre une chaleur comparable à celle d’un petit feu de camp. La morsure du vent du nord en provenance du Grand Glacier se faisait toujours sentir, car ils se trouvaient à plus de neuf cents mètres d’altitude, mais la chaleur émise suffisait.

— Et maintenant ? demanda Entreri, au bout de plusieurs minutes d’attente passées à observer dans le silence les faibles lueurs qui leur parvenaient des feux nocturnes de Palischuk.

— C’est toi qui as lancé l’offensive, répondit Jarlaxle.

— Nous avons fui la citadelle. Il vaut mieux que nous affrontions ses membres dans les rues d’Héliogabale, ruelle après ruelle.

— Le combat dépasse de loin cette organisation, expliqua calmement Jarlaxle, avec cette voix, si assurée et raisonnable, qui exaspérait Entreri.

Celui-ci savait par expérience que toutes les fois où Jarlaxle se sentait confiant, de gros ennuis se profilaient.

— Nous avons secoué le nid, reconnut-il, entre le roi et Knellict. Il nous faut maintenant choisir un camp.

— Pour lequel opterais-tu ?

— Pour celui de Gareth.

— Par conscience ?

— Par pragmatisme, répliqua Entreri. Si une guerre ouverte éclate entre la citadelle des Assassins et le roi Gareth, ce dernier l’emportera. Je l’ai déjà vu, à Portcalim, et toi aussi, à Menzoberranzan. Lorsqu’une guilde vient titiller de trop près les pouvoirs en place, ceux-ci se vengent.

— Tu crois alors qu’il réussira à détruire Knellict et la citadelle des Assassins ? Qu’il les raiera de la surface des Terres héliotropes ?

Entreri réfléchit quelques instants, avant de secouer la tête.

— Non. Il les délogera des rues et les contraindra à regagner leurs lointaines cachettes. Certaines tomberont probablement. Quelques chefs seront tués ou emprisonnés. Mais Gareth ne réussira pas à éradiquer complètement la citadelle. Les choses ne se passent jamais ainsi. (Il se tut afin de réfléchir à ce qu’il venait de dire, avant de ricaner.) D’ailleurs, il ne souhaiterait pas la faire disparaître.

Jarlaxle regarda Entreri du coin de l’œil et ce dernier aperçut le petit sourire qui se dessinait sur le visage de son compagnon.

— Le roi Gareth est un paladin, lui rappela le drow. Doutes-tu de sa sincérité ?

— Quelle importance ? Lui et ses amis ont tout intérêt à ne pas éradiquer la citadelle des Assassins. Sa présence rappelle au bon peuple de la Damarie ce à quoi il serait exposé sans son héros de roi.

— Il n’est peut-être pas comme Ellery : il ne fera pas forcément affaire avec la citadelle, mais il s’en sert tout comme elle. C’est dans la nature du pouvoir.

— Ta vision du monde est cynique.

— Elle est justifiée, je te l’assure. Et exacte.

— Je ne prétends pas le contraire.

— Pourtant, tu sembles considérer que Gareth est au-dessus de tout reproche, parce qu’il est un paladin.

— Non, je pense qu’il est prévisible parce qu’il se laisse davantage guider par ses principes, fondés ou non, que par le pragmatisme. Ses desseins sont toujours limpides, tu ne trouves pas ? Il pourrait être bien servi par la citadelle, mais il est vraisemblablement trop aveuglé par le dogme pour voir cette simple vérité.

— Tu n’as pas répondu à ma question, rappela Entreri. Et maintenant, que faisons-nous ?

— Cela semble évident.

— Éclaire-moi.

— Comme toujours.

— Maintenant.

Jarlaxle, exaspéré, soupira.

— Nous déclarons notre indépendance vis-à-vis du roi Gareth, bien sûr, répliqua-t-il.

 

* * *

 

Bien en dessous des deux compagnons, très près de la pièce où se trouvaient les os d’Urshula la dracoliche, Kimmuriel Oblodra s’entretenait avec ses lieutenants drows et élaborait une stratégie de défense du château en cas d’attaques visant les murs et les portes. Il préparait surtout une manœuvre de retraite rapide à partir de la pièce dans laquelle ils se tenaient. Près du drow, un portail magique brillait d’une lumière bleue. Les guerriers drows de Bregan D’aerthe ne cessaient d’arriver par ce passage, à la tête d’un contingent composé de gobelins, de kobolds et d’orques apportant vivres, armes et meubles, confectionnés principalement dans les robustes champignons de l’Outreterre.

Un flux continu passait par ce portail, tandis que des drows l’empruntaient dans le sens contraire, pour regagner l’entrée magique située dans le labyrinthe des tunnels, le long du gouffre Griffe-Gorge à Menzoberranzan, le complexe servant de siège à Bregan D’aerthe.

— Plus tôt nous serons partis, mieux cela vaudra, déclara l’un des lieutenants de Kimmuriel, et bien que d’autres aient acquiescé, il lui jeta un regard menaçant.

— Parle, exigea le psioniste.

— L’endroit est étrange, répondit le drow. Il émet une énergie que je ne reconnais pas.

— Et donc que tu crains ?

— La herse du portail d’entrée… s’agrandit, ajouta un autre soldat. Elle a été endommagée par un passage forcé, mais depuis, elle se répare toute seule. Il ne s’agit pas d’une construction inerte, mais d’une créature magique et vivante.

— En quoi ce lieu diffère-t-il des tours de l’Éclat de cristal ? voulut savoir le premier lieutenant.

— Tu te demandes si c’est l’œuvre de Jarlaxle ? s’enquit Kimmuriel. (Aucun d’eux ne nia.)

» Je ne sais pas, poursuivit le psioniste avec franchise. Même si je crois que Jarlaxle agit ici de son propre chef. Si je ne le pensais pas, je ne vous aurais pas conduits jusqu’à cet endroit maudit. (Il leur montra le portail, d’où émergeait un autre groupe de gobelins, chargés de tapis et de tapisseries.) Il est passé maître dans l’art du double jeu.

— Échappatoire aisée, fit remarquer l’un d’eux.

Près d’eux, quatre gobelins trébuchèrent et renversèrent sur le sol un coffre confectionné dans un champignon. Les meneurs drows s’avancèrent et abattirent leur fouet sur la chair des misérables créatures qui se jetèrent à quatre pattes pour tenter de rassembler les débris.

Les soldats entourant Kimmuriel hochèrent la tête, car rien de ce qui était apporté au château n’avait vraiment de valeur ; il ne s’agissait que de meubles utilitaires et d’affaires simples.

Il en allait de même pour la main-d’œuvre, bien sûr. Les gobelins, les orques et les kobolds, tous étaient aussi facilement remplaçables pour les elfes noirs qu’un meuble bon marché fait de champignon.

 

* * *

 

— Notre indépendance ? s’enquit Artémis Entreri, une fois la surprise passée. Ne nous suffit-il pas de quitter les Terres héliotropes ?

— En emportant avec nous ce château ?

Entreri se tut, car il commençait à comprendre les machinations du drow.

— Tu étais sérieux en demandant à Palischuk de rester neutre ?

— Il nous faut choisir un nom pour notre royaume, dit Jarlaxle, qui confirma les craintes de son ami par le simple fait qu’il passa outre à sa question. Tu as des suggestions ?

Entreri le regarda avec l’incrédulité la plus totale.

— Le sort en est jeté, fit Jarlaxle. Tu as lancé le gantelet aux pieds de Knellict quand tu as refusé de tuer ce marchand.

Entreri détourna le regard et se pinça très fort les lèvres.

— L’homme n’était pas digne de ta lame ? Ou ne la méritait-il pas ?

Entreri jeta un coup d’œil haineux en direction du drow.

— C’est bien ce que je pensais, déclara Jarlaxle. Tu aurais pu choisir un autre moment pour découvrir que tu avais une conscience. Mais peu importe, car il fallait bien qu’on en arrive là. Mieux vaut maintenant, je suppose, que lorsque Knellict commencera à comprendre véritablement à qui il a affaire.

— À savoir ? Deux imbéciles impétueux, une petite armée de gargouilles et un dragon mort-vivant que nous contrôlons à peine ?

— Observe mieux, dit Jarlaxle, une pointe de ruse dans la voix.

Il invitait Entreri à diriger son attention vers la tour de guet à droite du corps de garde. Une mince silhouette s’y déplaçait, aussi silencieuse et guère plus consistante que les ombres.

Un drow.

Entreri se retourna vivement vers son compagnon.

— Kimmuriel ?

— Bregan D’aerthe, répondit Jarlaxle. Une main-d’œuvre d’esclaves arrive sans discontinuer par les portails magiques. Pour déclencher une guerre, mon ami, il faut une armée.

— Déclencher une guerre ?

— J’avais espéré réussir plus facilement et par le truchement de tiers, concéda Jarlaxle. J’avais espéré que les deux monstres, le roi et le grand-père des Assassins, en arriveraient à se dévorer l’un l’autre. Tu as abattu ton jeu trop vite.

— Et tu souhaites désormais provoquer un conflit ?

— Non, corrigea Jarlaxle. Mais cela reste du domaine du possible. Si Knellict arrive, nous devrons le repousser.

— Avec le drow, Urshula et tout le reste ?

— Avec l’ensemble de ce qui est à notre disposition. On ne lésine pas avec quelqu’un comme Knellict.

— Et si nous partions, tout simplement ?

Cette proposition sembla prendre Jarlaxle au dépourvu. Il s’appuya contre le mur, regarda vers le sud, et considéra l’obscurité trouée seulement par quelques feux allumés à Palischuk et par les étoiles.

— Non, finit-il par répondre.

— Le monde est vaste et nous pourrions nous y faire oublier le temps nécessaire. Il semblerait que nous soyons parvenus aux termes de l’hospitalité qui nous a été accordée.

— Auprès de Knellict.

— Ce qui suffit en soi.

Jarlaxle hocha la tête.

— Nous pouvons partir dès que nous le souhaitons, grâce à Kimmuriel. Pour le moment, tel n’est pas mon désir. Je me plais ici. (Il se tut et sourit à Entreri jusqu’à ce que celui-ci finisse par le remarquer, avec un ricanement moqueur, bien sûr.) Songe à Calihye, mon ami. Souviens-toi que certaines choses valent la peine qu’on se batte pour elles.

— Nous résistons là où cela n’est pas nécessaire. Calihye n’est ni une terre ni un château magique. Rien ne peut l’empêcher de venir avec nous. Ton analogie ne tient pas.

Jarlaxle acquiesça en guise de concession. Cependant, son sourire indiquait à Entreri que cet argument était discutable. Le drow se plaisait en ces lieux ; cette raison, à elle seule, semblait lui suffire.

De nouveau, Entreri regarda vers la tour, et bien qu’il n’y ait distingué aucun mouvement, il savait que les amis de Jarlaxle étaient arrivés. Il songea à Portcalim et au séisme déclenché là-bas par Bregan D’aerthe qui, en éliminant les guildes au pouvoir depuis des années, avait modifié, avec une relative facilité, l’équilibre des pouvoirs au sein de la ville.

Des événements similaires pourraient-ils se dérouler dans les Terres héliotropes ?

Ou l’ambition de Jarlaxle était-elle encore plus démesurée ? Un royaume rival de la Damarie. Un royaume bâti sur une armée de drows et des esclaves, sur des serviteurs morts-vivants et des gargouilles animées, et reposant sur un marché conclu avec une dracoliche ?

Un frisson parcourut Entreri ; il n’était pas causé par le vent froid du nord.

 

* * *

 

— Une gargouille, fit remarquer Arrayan. (D’un geste, elle désigna le mur de la forteresse obscure, entre les tours de garde de laquelle volait une créature humanoïde ailée.) Le château est vivant.

— Qu’ils soient maudits, grommela Olgerkhan.

Wingham, quant à lui, se contenta de soupirer.

— Nous aurions été mieux inspirés de ne pas faire confiance à un drow, déclara Arrayan.

— Combien de fois ai-je entendu ces mots à propos de notre race, les demi-orques ? répondit du tac au tac le vieillard, à la grande surprise de ses deux compagnons.

— Le château est vivant, répéta Olgerkhan.

— Et Palischuk n’a pas été menacée, insista Wingham. Comme l’avait promis Jarlaxle.

— Tu accorderais foi à la parole d’un drow ? demanda le guerrier.

Pour toute réponse, Wingham haussa les épaules avant d’ajouter simplement :

— Avons-nous le choix ?

— Nous avons vaincu la création magique une première fois, tonna Olgerkhan sur un ton de défi, le poing levé et serré, les muscles du bras bandés.

— Vous avez battu une structure animée sans intelligence, corrigea Wingham. Cette fois, elle a un cerveau.

— Et celui de quelqu’un qui toujours nous a devancés, renchérit Arrayan. Même à l’intérieur, lorsqu’ils m’ont sauvée de Canthan, quand ils t’ont ramené à la vie par le vampirisme de la dague d’Entreri, ajouta-t-elle à l’intention d’Olgerkhan, sur le même ton rageur, Jarlaxle avait tout compris, mais pas moi, ni le magicien Canthan. Je me demande si son but déjà n’était pas de contrôler la construction plutôt que de la détruire.

— Sa forteresse est debout, vivante et forte, et le roi Gareth se trouve au sud, constata Wingham. Quant à Palischuk, elle se situe entre les deux.

— Une fois de plus, déclara Arrayan d’un ton très résigné, comme c’était le cas avec Zhengyi.

 

* * *

 

— La lourdeur des races de surface ne me surprend plus, lança Kimmuriel Oblodra à Jarlaxle.

Les deux drows se trouvaient sur le mur, pas très loin de l’endroit où Jarlaxle s’était entretenu peu de temps auparavant avec Artémis Entreri et, là encore, leurs regards étaient dirigés vers le sud. Non dans la direction de Palischuk, cependant, car le psioniste avait attiré l’attention de son compagnon un peu à droite, vers un taillis d’arbres dénudés, à l’ombre d’une petite colline. Aucun des deux n’arrivait à distinguer les silhouettes qui, Kimmuriel l’avait assuré à son ancien chef, y étaient tapies : trois demi-orques.

— Il y a une magicienne parmi eux, déclara Kimmuriel. Sans grande importance ni réel pouvoir.

— Arrayan, affirma Jarlaxle. Elle peut être utile et son aspect est plaisant, autant que cela est possible, bien sûr, pour une personne ayant des origines orques.

— Il semblerait que tes paroles n’aient pas eu de grande influence dans la ville.

— Ils sont prudents ; qui pourrait les en blâmer ?

— Ils vont savoir que la construction est en train de revenir à la vie, déclara Kimmuriel. Les gargouilles volent.

Jarlaxle acquiesça et confirma de la sorte que tel avait été son commandement.

— Ont-ils aperçu certains de tes éclaireurs ? Ont-ils vu des drows, moi mis à part ?

Cette idée ridicule fit sourire Kimmuriel. Les drows ne pouvaient être repérés par des créatures si pitoyables, sauf s’ils le souhaitaient.

— Dans ce cas, qu’ils se montrent, commanda Jarlaxle.

Kimmuriel le regarda fixement, mais Jarlaxle, d’un signe de tête, confirma son ordre.

— Tu utiliserais la terreur pour les maintenir à distance, supposa Kimmuriel. C’est de la faiblesse diplomatique.

— Palischuk va devoir faire un choix.

— Entre Jarlaxle…

— Le roi Artémis 1er, corrigea ce dernier avec un sourire.

— Entre Jarlaxle, insista Kimmuriel, têtu, et le roi Gareth ?

— Je ne l’espère pas, pas avant longtemps, tout du moins, répondit son interlocuteur. Je doute que Gareth décide rapidement de charger vers le nord, mais la citadelle des Assassins infiltre probablement déjà Palischuk. Je nourris l’espoir que les demi-orques mesurent à quel point il serait peu sage d’aider les hommes de Knellict.

— Parce qu’ils craindraient davantage Jarlaxle et les elfes noirs ?

— En effet.

— Ta stratégie fondée sur la peur se retournera contre toi lorsque le roi Gareth interviendra, l’avertit Kimmuriel, et, par le silence qui s’ensuivit, il sut qu’il avait touché une corde sensible chez son compagnon.

— Quand nous en serons là, j’espère que j’en aurai terminé depuis longtemps avec ce mage, expliqua Jarlaxle. Nous pouvons établir des relations basées sur une certaine confiance avec les demi-orques. Confiance et crainte les contraindront à garder le roi Gareth à distance.

Kimmuriel, le regard dirigé vers le sud, secouait la tête.

— Fais en sorte qu’ils les voient, lui dit Jarlaxle. Et laisse-les poursuivre leur chemin.

Kimmuriel n’était pas disposé à contredire son compagnon, en raison des propos qu’il avait tenus peu de temps auparavant à ses lieutenants en proie au doute. Il s’agissait de la stratégie élaborée par Jarlaxle. Kimmuriel, en dépit de l’assurance qu’il ne cessait de gagner, était conscient de se trouver aux côtés d’un drow qui avait survécu pendant plusieurs siècles à toutes les intrigues de Menzoberranzan et d’ailleurs. À l’exception de la catastrophe évitée de justesse à Portcalim, les plans que celui-ci avait nourris avaient-ils jamais échoué ?

Et ce désastre évité de justesse, se rappela Kimmuriel à point nommé, avait été pour une large part causé par l’influence corruptrice de l’artefact appelé Crenshinibon.

Pourtant, le psioniste ne parvint pas à tourner vers son compagnon un visage rasséréné. Grâce aux nombreux récits de complots relatés par Jarlaxle, Kimmuriel s’était grandement familiarisé avec les récents événements de la région connue sous le nom de Terres héliotropes et mesurait bien toute l’étendue du pouvoir du roi Gareth Tueurdedragons.

En considérant les actes de Jarlaxle, il se rendit compte qu’il n’était pas le seul à nourrir de telles craintes. Ce dernier n’avait pas exigé de reprendre les rênes de Bregan D’aerthe, bien qu’il ait demandé à Kimmuriel de mobiliser toutes ses ressources. En dépit de sa confiance manifeste, Jarlaxle répartissait les risques en laissant le contrôle total au psioniste. Il se protégeait lui-même de cette confiance exagérée.

En comprenant le compliment que Jarlaxle, une fois de plus, lui adressait, Kimmuriel lui adressa un salut puis prit congé.

La route du patriarche
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